Cours : Distance et Accessibilité
Introduction
L’objectif de ce cours est de familiariser les étudiants avec deux notions centrales en géographie et en analyse spatiale :
Définition de la distance
C’est l’intervalle entre deux points. La distance est une relation entre les lieux dans l’espace géométrique donné. Définir une distance est un acte profondément géographique, qui revient à définir la nature de la relation entre les lieux, l’espace de référence et donc le nombre de ses dimensions (Brunet et al, 1994).
Exemple : la distance métrique, topologique, social, perçue
La distance change selon le mode de transport utilisé. Si par exemple on veut se rendre du village de Forossou au village de Fouélessi en voiture par la route, il faudra compter de 192 à 215 km et un temps supérieur à 4h. Mais si on se déplace en hélicoptère, il ne faudra que quelques minutes puisque la distance à vol d’oiseau est de moins de 20 km. On pourrait aussi imaginer de se déplacer à pieds puis en vélo, etc (Figure 1)
=> La distance ne se mesure donc pas dans l’absolu mais en fonction d’un moyen de transport qui va impliquer des contraintes différentes.
Figure 1 : La distance routière entre Forossou et Ouélessi
On peut mesurer les distances de façons très différentes
- kilomètres - temps - coût - énergie - sécurité - pénibilité / agrément - etc.
=> La distance ne se mesure pas seulement en kilomètres ! Le fait de choisir un itinéraire plutôt qu’un autre dépend d’un grand nombre de facteurs. Les économistes font l’hypothèse qu’on peut définir un coût généralisé qui intègre toutes les dimensions précédentes mais il n’est pas facile de le mesurer de façon objective.
Définition de l’accessibilité
C’est la capacité à être atteint par une clientèle, un message, un service.Elle dépend de l’état des moyens de transport et représente un coût. C’est l’ensemble de possibilités effectives pour relier deux lieux par un déplacement ou pour accéder à un service. L’accessibilité est une composante de la mobilité. Elle représentel’offre de mobilité.
Exemple : accessibilité à internet, la téléphonie mobile…
Première loi de la géographie
Il n’est pas exagéré de dire que si la distance n’exerçait aucune influence sur la vie des sociétés, la géographie n’existerait pas car elle serait inutile. Tous les manuels théoriques de géographie quantitative et d’analyse spatiale débutent logiquement par une réflexion sur la distance (Beguin 1979 ; Taylor, 1977) L’auteur le plus célèbre en la matière est le géographe américain Waldo Tobler qui a défini ainsi la première loi de la géographie :
"Everything is related to everything else, but nearthings are more related than distant things. 1» (Tobler, 1970)
Cette première loi de la géographie demeure évidemment trop vague tant que l’on n’a pas défini ce que sont des lieux proches ou éloignés, ce qui fait l’objet précisément de la première partie ce cours sur la mesure du distance. Une fois que l’on saura mesurer la distance non plus entre deux lieux mais entre plusieurs lieux à l’aide d’une matrice de distance, on pourra passer à la seconde notion centrale qui est l’accessibilité.
A. Approche empirique de la distance
Plutôt que d’aborder immédiatement cette question de façon théorique, nous allons partir d’un exemple très concret, celui de l’alimentation en produits agricoles du marché de gros de Bouaké (Côte d’Ivoire) en nous appuyant sur les relevés de terrain effectués à l’occasion de la thèse de doctorat de Bamba Vakaramoko (Bamba, 2019).
A.1 Le marché de gros de Bouaké
Présentation du marché de gros de Bouaké
Situé au cœur de la Côte d'Ivoire, dans la région de Bouaké, à 379 km au Nord d'Abidjan, sur la voie internationale A3 menant au Mali et Burkina Faso. Le marché de Gros de Bouaké est une plateforme de commercialisation des produits vivriers, unique en son genre dans la sous région ouest-africaine. Il est perçu comme un puissant instrument d'intégration économique en raison de sa situation géographique. Ce marché a une capacité d’accueil de 431 magasins dont 370 sont entièrement dédiés au vivrier. Il a été inauguré le 16 Avril 1998. C’est un marché bâti sur une superficie de 27 hectares.
Présentation des acteurs
On rencontre 2 types d’acteurs au marché de gros de Bouaké : Les acteurs étatiques et les acteurs non étatiques.
- Les acteurs étatiques
L’ocpv : C’est l’office d’aide à la commercialisation des produits vivriers. C’est un établissement public national à caractère administratif, sous tutelle technique du ministère du commerce et celui de l’économie et des finances. Il a pour mission d’apporter une aide multiforme aux opérateurs en vue d’une amélioration de la distribution et de la commercialisation des produits vivriers. La distribution est réservée à l’initiative privée selon l’article 4 du décret N°2012-961 du 2 octobre 2012.
La douane : C’est un acteur clé de l’importation et de l’exportation des produitsvivriers. Le marché de gros de Bouaké abrite un bureau annexe des douanes. Cette cellule est chargée de suivre les chargements et les déchargements des véhicules. Ce bureau est compétent pour l’enregistrement et le suivi de toutes les opérations d’exportation de marchandises. Il s’occupe de l’effectivité des exportations. Il est chargé du traitement des déclarations en détail des denrées du cru périssable. Il vérifie la conformité des chargements des marchandises. La plateforme a un caractère national et international parce que le marché de gros reçoit et envoie les produits vivriers à l’intérieur du pays et dans les pays de la sous-région. Deux types de déclaration ont lieu au marché de gros. Ce sont la déclaration d’exportation des marchandises prises sur le marché intérieur (D6) et la déclaration de mise à la consommation directe de marchandises (D3).
2-Les acteurs non étatiques
Les commerçants : Ils sont régis par les articles 10 et 11 du décret N°99-445 du 7 juillet 1999. Ce décret stipule que ces commerçants sont des professionnels admis au marché de gros par une commission présidée par le préfet. Ils doivent vendre en gros.
Les transporteurs : Ils interviennent comme des prestataires de services. Ils assurent le transport des marchandises des zones de production vers les grands centres urbains et les marchés de la sous région.
Les syndicats : Ils veillent à la bonne distribution du fret entre les transporteurs. C’est un rôle d’intermédiation entre les opérateurs et les autorités.
Les coxers :: Ce sont des intermédiaires entre transporteurs et commerçants. Les coxers sont le plus souvent sollicités en période de récolte. Cette période correspond à une forte demande de véhicule, ce qui implique l’augmentation des coûts de transport. Une commission variable de 5 à 10% du prix du transport est remise au coxer selon la quantité de la marchandise et la distance.
Explication du rôle de la distance (prix, temps, …)
Au marché de gros, le tarif varie du transport en fonction de ladistance, mais également en fonction de la situation géographique du lieu d’approvisionnement, du tonnage du véhicule et surtout en fonction de la période de l’année.
Le ravitaillement du marché de gros de Bouaké connaît des contraintes aucniveau de l’acheminement et de la redistribution des produits vivriers.L’analyse de toutes ces données indique que le réseau routier rural necbénéficie pas des ressources du Fonds d’Entretien Routier (FER) alorscqu’il est la première voie de transit des produits en direction du marché de gros. Les budgets disponibles pour l’entretien routier et sa remise en état sont actuellement insuffisants.
Exemple 1 : le phénomène de racket
Le phénomène de racket s’illustre de diverses manières et varie en fonction de l’auteur, de la victime, du produit vivrier et de l’axe routier. A tous ces problèmes infrastructurels et structurels, se greffent les augmentations des prix du gasoil qui occasionnent la flambée des prix du transport et par ricochet celui des denrées alimentaires sur les marchés urbains.
Le racket, selon les transporteurs et commerçants enquêtés, constitue la première contrainte lors du ravitaillement du marché de gros de Bouaké soit 81,86 % sur un ensemble de 6 facteurs. Il est donc l’entrave majeure à la fluidité du commerce du vivrier en direction du marché de gros de Bouaké. Ces contraintes s’imposent aussi bien aux transporteurs qu’aux commerçants. Le transporteur paye les faux frais lors des contrôles à la police et à la gendarmerie. Quant aux commerçants, ils règlent ces frais aux agents de la douane et ceux des eaux et forêts
La figure montre que plus de 80 % des enquêtés estiment être victime de racket de la part des agents de la gendarmerie et de la police. Ces prélèvements illicites constituent pour les usagers du marché une entrave à son ravitaillement. L’irrégularité des pièces afférentes aux véhicules, la surcharge, les factures manquantes favorisent le racket.
Exemple 2 : Le transport de l’oignon du Niger
Le transport de l’oignon subit le même sort avec de nombreux postes de contrôle rencontrés depuis la zone de production au Niger jusqu’au marché de gros. Ainsi, le prix de revient d’un sac d’oignon de 120 kg au marché de gros est estimé à 21 000 F CFA.
Tableau 1 : Prix de revient d’un sac d’oignon
Prix bord champ d’un sac de 120 kg | 10 000 F CFA |
---|---|
Frais de route d’un sac de 120 kg | 4 000 F CFA |
Transport d’un sac de 120 kg | 7 000 F CFA |
Total | 21 000 F CFA |
Source : Bamba V., 2015 et 2016.
Après le chargement de l’oignon, les camions effectuent le dédouanement. Ils établissent un certificat de contrôle phytosanitaire au poste frontalier Niger-Burkina de Torodi et procèdent aux paiements des droits de transit. Après l’acquisition de ces documents, les transporteurs sont contraints de payer des frais de route à chaque poste de contrôle des douanes, de la gendarmerie ou de la police tout au long du trajet. Une tarification tacite existe entre les opérateurs et les forces de l’ordre. Les frais de route de chaque camion et à chaque poste sont fixés comme suit : 5000 F CFA par poste de douanes au Niger à l’exception des postes de Niamey, de Torodi (frontière Burkina Faso) où les frais sont de 10 000 F CFA. Ce montant de 5000 F CFA est doublé à la sortie des frontières nigériennes jusqu’à destination pour un véhicule immatriculé au Niger. Ces frais peuvent être quelquefois en nature, un sac d’oignon par exemple. Ils sont payés pour éviter un déchargement du camion aux différents postes de contrôle de douane pour vérification de la conformité douanière. Cette vérification qui pourrait être une menace pour les produits, contraint les commerçants à la recherche d’un compromis d’autant plus que l’oignon est une marchandise très périssable. En ce qui concerne la gendarmerie et la police, les frais prélevés sont de l’ordre de 1000 F CFA au Niger et entre 2000 F CFA et 3000 F CFA dans les postes des pays traversés. Les montants des frais de route sont remis au départ au chauffeur par l’exportateur. Il est d’environ 4 000 F CFA par sac d’oignon. Le chargement d’un camion est de 350 sacs de 100 à 120 kg. Cette dépense liée au frais de route pourrait avoisiner 1 400 000 FCFA selon les commerçants par chargement.
Exemple 3 : La problématique des barrages routiers
Le racket se matérialise aussi par une augmentation des barrages sur les principaux axes de ravitaillement du marché de gros de Bouaké. L’analyse du tableau 4 montre un nombre pléthorique de barrages sur les principales voies d’accès du marché alors que la norme CEDEAO admet 3 barrages sur 100 km. Les relations que ces agents ont avec les commerçants influent sur bien des aspects de la commercialisation des denrées alimentaires (durée de voyage, qualité et prix de vente sur le marché). Le calcul des coûts réels de commercialisation des produits vivriers entre les zones de production et le marché de gros doit prendre en compte non seulement les frais de location de véhicules, les diverses transactions sur les marchés de brousse, mais également les charges fiscales légales et illégales que doivent supporter les transporteurs
Tableau 2 : Nombre de barrages sur les principaux axes alimentant le marché de gros de Bouaké.
Localités | Distance | Nombre de barrages | Densités des barrages aux 100 km |
---|---|---|---|
Bouaké-Béoumi | 53 | 8 | 15 |
Bouaké-Sakassou | 33 | 7 | 21 |
Bouaké-M’bahiakro | 80 | 8 | 10 |
Bouaké-Brobo | 20 | 4 | 20 |
Bouaké-Diabo | 20 | 3 | 15 |
Bouaké-Dabakala | 135 | 13 | 9 |
Bouaké-Katiola | 45 | 7 | 15 |
Bouaké-Botro | 32 | 7 | 21 |
Bouaké-Marabadiassa | 65 | 11 | 16 |
Bouaké-Tiéningboué | 101 | 14 | 13 |
Bouaké-Mankono | 172 | 16 | 9 |
Source : Bamba V., 2015 et 2016.
Les négociations et les marchandages portent éventuellement non pas sur l’authenticité ou la régularité des pièces de véhicule, moins encore sur la qualité, l’origine ou la destination du produit, mais sur la somme à payer. Le commerçant et le transporteur savent qu’ils ont intérêt à jouer le jeu pour gagner en temps et en argent, surtout qu’il s’agit de produits périssables. Le montant de ces faux frais dépend du type de véhicule et surtout de leur capacité de charge. Ce montant est estimé à 16 000 F CFA sur l’axe Béoumi-Bouaké distant de 53 km pour un véhicule pick up. Sur ce tronçon, on dénombre 8 barrages ce qui fait un ratio d’un barrage tous les 6,62 km. Dabakala (2 103,170 tonnes), Tiéningboué (2600,327 tonnes) et Mankono (338,230 tonnes) sont les villes où on dénombre le plus de barrages.
A.2 L’exemple de l’igname
En Côte d’Ivoire, les ignames étaient cultivées essentiellement pour la consommation. L’igname est un produit périssable dont la conservation est limitée dans le temps, allant de quelques semaines à trois mois au maximum. Cela demande un rythme de rotation rapide des produits, du champ vers le consommateur. Ainsi plusieurs moyens de transport sont mis à contribution pour éviter des avaries dans la chaîne de ravitaillement. Les modes de transport qui interviennent dans cette filière partent des moyens non motorisés aux véhicules motorisés.
Transport et distance
L’acheminement de l’igname des champs vers les points de rassemblement est assuré par les transports non motorisés. Avant l’embarquement pour le marché de gros, l’igname est stockée dans un endroit accessible aux véhicules. Ce premier regroupement est fait par les transports non motorisés (homme, brouette, pousse-pousse) et les transports de petits gabarits. Ces véhicules utilisés ne sont pas toujours adaptés au transport de l’igname et occasionnent parfois des dommages au cours du transport. L’évacuation de l’igname exige donc plusieurs moyens de transport dans la chaîne. Ici s’opère la première rupture de charge.
Après la constitution du stock souhaité dans le lieu de rassemblement, le producteur ou le commerçant fait appel à un camionneur pour l’évacuation du produit. Le prix du trajet est discuté en fonction de la distance (tableau3).
Tableau 3 : Distance kilométrique des zones de production et de réexpédition de l’igname
Localité | Distance kilométrique |
---|---|
Région de Bouaké | 1kg à 10 F CFA |
Dabakala | 1kg à 20 F CFA |
Kong | 1kg à 20-30 F CFA |
Abidjan | 1kg à 10-15 F CFA |
Mali | 1kg à 30-35 F CFA |
Bouna, Bondoukou | 1kg à 35-40 F CFA |
Source : Bamba V., 2016.
Les transporteurs interviennent comme des prestataires de services. Ils sont propriétaires ou locataires des camions. A ce titre, ils assurent un service de transport. Par ailleurs, ils peuvent être impliqués dans des opérations d’achat et de revente d’ignames. Pour la location du véhicule, le tarif varie en fonction de la distance, mais également en fonction de la situation géographique du lieu d’approvisionnement, du tonnage du véhicule et surtout en fonction de la période de l’année. Suivant les entretiens réalisés auprès des transporteurs, il y a une variation saisonnière des prix unitaires pratiqués. Le réseau, surtout en milieu rural, devenant moins praticable, le transport est en saison des pluies plus difficile, il est donc plus coûteux.
Tableau 4 : Couronne d’approvisionnement du marché de gros de Bouaké
Distance de provenance | Nombre de véhicule | Pourcentage de véhicules (%) | Quantité d’ignames en tonne | Pourcentage d’ignames (%) |
---|---|---|---|---|
Couronne locale (0 à 50 km) | 46 | 9,35 | 643,54 | 17,28 |
Couronne nationale (plus de 50 km) | 447 | 90,65 | 3079,40 | 82,72 |
Total | 493 | 100 | 3722,94 | 100 |
Source : MGB, 2016.
Le tableau permet de localiser les deux couronnes d’approvisionnement. La couronne locale est la première zone de ravitaillement du marché. C’est la ville de Bouaké et sa région proche. Elle correspond au périmètre de protection institué par l’article 2 du décret N°99-446 du 7 juillet 1999 (JO N°30 du 29 juillet 1999) dont les limites englobent la totalité du département de Bouaké qui correspond aujourd’hui à la région Gbèkè. Cette région est située dans un rayon de 50 km correspondant au périmètre de protection du marché. Sur ces petites distances interviennent les petits gabarits. Les moyens de transport qui alimentent ce périmètre sont les deux roues, les tricycles, les véhicules de transport de personnes (les taxis brousse, les gbaka) et les bâchés. Ils ont une charge qui varie entre 3 à 8 tonnes. Cette couronne locale a ravitaillé le marché de gros du 20 juin 2013 au 31 mai 2015 dans les proportions de 643,54 tonnes d’ignames. Ces localités du périmètre de protection fournissent faiblement le marché de gros soit 17,28 %.
La couronne nationale correspond aux autres zones d’approvisionnement nationales. Pour atteindre ses zones de production, le choix d’un moyen de transport dépend de 3 éléments. Le premier est la quantité d’ignames disponible dans la zone de production, l’accessibilité de la zone de production et enfin la distance à parcourir.
Dans le cas d’une grande quantité et de l’éloignement de la zone de production, les trois facteurs sont déterminants. Ainsi le tonnage détermine le type de moyens de transport. Pour les longues distances, le commerçant utilise les gros porteurs comme les remorques de 40 t. On note que l’essentiel de l’igname du marché de gros provient de la couronne nationale soit 82,72% (Nos enquêtes, 2015), ce qui demande des moyens de transport de plus en plus volumineux à cause de la distance. Le marché de gros a été approvisionné du 20 juin 2013 au 31 mai 2015 par les localités suivantes : Bondoukou, Bouandougou, Bouna, Kong, Tiéningboué. Elles ont fourni plus de 500t d’ignames chacune. La ville de Dabakala a été le premier fournisseur du marché de gros avec 1710,930t. Ensuite, arrive Bouandougou avec 1704,620t et Tiéningboué avec 1370,940t.
Côut de transport
La distance et l’accessibilité sont primordiales dans le coût du transport. Lorsque la production est dans une zone reculée, il y a un renchérissement du coût du transport. C’est l’exemple de Bouna et de Bondoukou qui fournissent l’igname précoce (kponan). La tonne d’igname coûte entre 35 000 F.CFA et 40 000 F.CFA. L’accessibilité de ces zones de production d’avec le marché se fait par une route non bitumée alors que les distances sont de 321 km pour Bondoukou et de 383 km pour Bouna. Pour à peu près la même distance entre Abidjan et Bouaké (349 km), le transport de la tonne d’igname se négocie entre 10 000 F.CFA et 15 000 F.CFA. Ainsi les infrastructures routières sont un facteur déterminant dans le coût du transport et à la fois indispensable pour évacuer les flux d’ignames. La dispersion des campements et leurs accès rendent la collecte de l’igname difficile pour les transporteurs. Ces voies empruntées se définissent par leur impraticabilité surtout en période de pluie. Les tracasseries routières et les rackets sont des entraves à la fluidité du commerce de l’igname. En effet, ces contraintes se traduisent tant chez le transporteur que chez le commerçant. Le transporteur s’occupe des « pots de vin » concernant son véhicule c’est-à-dire de tous les agents chargés du contrôle en l’occurrence la police et la gendarmerie. Quant aux commerçants, ils s’occupent de ceux commis au contrôle des marchandises à savoir les eaux et forêt et la douane. Le président de la filière igname affirme que le nombre de barrages n’est plus respecté lorsqu’on quitte l’autoroute du nord et que le racket impacte le prix final de l’igname. Il fait noter par exemple que pour un chargement d’ignames de Bondoukou à Bouaké, l’enveloppe allouée au racket peut atteindre 100 000 F CFA voire plus. Nous avons vérifié ces propos en nous rendant à Diabo, commune située à 20 km de Bouaké pour un dépotage. Nous avons dénombré 3 barrages à savoir celui de la gendarmerie, des eaux et forêt et de la police. A ces postes, les véhicules de marchandises sont soumis à un péage informel qui varie de 500 F CFA à 2000 F CFA selon la quantité de chargement.
Echanges nationaux et internationaux
Le transport de l’igname vers les grands centres urbains et les marchés de la sous-région demande des moyens de transport et des infrastructures adéquates. Les moyens de transports pour la redistribution sont les mêmes que dans l’approvisionnement à savoir les gros camions, les camions, les pickups, les tricycles et les voitures de transport en commun.
Tableau 5 : Véhicule sortie du marché de gros
Espace géographique | Nombre de véhicules | Pourcentage de véhicules (%) | Type de véhicule transportant l’igname |
---|---|---|---|
Localité nationale | 18 | 32,14 | Camion, gros camion, tricycles, pickup, voiture de transport |
Mali | 38 | 67,86 | Camion, gros camion |
Total | 56 | 100 |
Source : MGB, 2016.
Les flux d’ignames réceptionnés par le marché de gros sont redistribués à travers le pays et à l’extérieur à l’aide de divers moyens de transport. L’analyse du tableau montre qu’au niveau de la sous-région seul le Mali reçoit les ignames du marché de gros. C’est la destination privilégiée de l’igname du marché de gros de Bouaké avec 80 % du total commercialisé. L’application de la circulaire N° 932 du 16/3/1999 de la direction générale de la douane relative au dédouanement des produits du cru à partir du marché de gros est la raison explicative de l’importance du marché malien dans cette filière. La circulaire impose que soit dédouané un certain nombre de produits sur le site du marché de gros, notamment la banane plantain et la noix de cola en direction du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Sénégal. Cette décision est modifiée par la circulaire N° 1673 du 3/9/2013 qui étend son champ d’application à d’autres produits alimentaires d’origine agricole. L’igname fait partie de ces produits conformément au décret N° 99-446 du 7 juillet 1999. Ainsi, les formalités de dédouanement de l’igname se font uniquement au marché de gros et non ailleurs. Cette décision s’applique aux produits susmentionnés issus du périmètre de protection du marché. La présente circulaire renforce la compétitivité du marché mais son application intégrale reste marginale au regard des statistiques du marché de gros.
Les moyens de transport utilisés dans la redistribution vers le Mali sont les gros porteurs à savoir les gros camions et les camions (photo). Leur charge unitaire facilite l’exportation de grandes quantités. Le coût du transport d’une tonne d’ignames pour le Mali coûte entre 30 000 F CFA et 35 000 F CFA. Ce tarif est souvent le fait des camionneurs maliens en transit au port d’Abidjan et qui prennent du fret retour.
Seulement 20% des ignames du marché de gros sont redistribuées sur les marchés nationaux. Les villes d’Abidjan et de San Pédro sont les principales destinations. Abidjan est la deuxième destination de l’igname du marché de gros avec 12 % après le Mali. Les variétés les plus demandées sont le klinglè (370,840t), l’assawa (219,680t), le bêtê bêtê (214,360t) et le kponan (158,600t). San Pédro vient en troisième position avec 3%. Les 5% restants sont repartis entre les autres marchés nationaux.
Le marché de gros entretient également des échanges avec les marchés de la ville de Bouaké. 65,64t d’ignames sont redistribuées localement dans ces marchés. Les variétés les plus demandées sont le klinglé et le kponan. Les détaillantes se procurent l’igname auprès des grossistes qu’elles vendent directement aux consommateurs finaux. Ce sont en majorité des femmes possédant généralement un emplacement fixe sur les marchés de la ville. Elles revendent les tubercules par tas de 3 ou 4 ignames. Elles utilisent plusieurs moyens de transport selon la distance du lieu de vente et de la quantité achetée. On a les transports non motorisés : le portage, les wotro et les brouettes. Au marché de Bromakoté, du fait de sa proximité avec le marché de gros, les femmes exploitent plutôt les transports non motorisés à savoir les brouettes et les wotro. Pour le ravitaillement des autres marchés, le transport est multimodal : d’abord le portage ou le wotro ou la brouette jusqu’aux abords du marché et ensuite les transports motorisés comme les taxis-villes et les tricycles.
B. Approche théorique de la distance
Comme on a pu le voir dans la partie précédente, les distances réelles sont des mesures complexes qui font intervenir un grand nombre de facteurs et nécessitent une très bonne connaissance du terrain d'étude. On peut toutefois utiliser dans certains cas des approximations des distances réelles en utilisant des formules mathématiques ou des applications interactives de calcul disponibles sur des serveurs webs. Les résultats sont évidememnt moins précis et moins détaillés mais ils permettent de fournir des résultats sur l'ensemble des lieux présents sur un territoire.
B.1 Les distances mathématiques
Même si elles sont évidemment plus abstraites, les distances mathématiques sont souvent utilisées pour donner des approximations des distances empiriques. Leur avantage est qu’elles ne dépendent que des coordonnées des points et peuvent être calculées rapidement pour un très grand nombre de distances à l’aide d’un ordinateur.
B.1.1 La distance orthodomique
La distance orthodromique aussi appelée « distance du grand cercle » correspond au déplacement entre deux points de la surface de la Terre qui est comme chacun le sait une sphère applatie. Sa formule est donc assez complexe et elle dépend du choix d'un ellipsoïde de référence. Une version simplifiée peut en être donnée comme suit :
Soit deux points i et j de la surface du globe ayant pour latitudes respectives \(\left( \delta_{i},\delta_{j} \right)\) et pour longitudes respectives \(\left( \lambda_{i},\lambda_{j} \right)\), la distance orthodromique entre ces deux points peut-être approximativement estimée par la formule de Haversine qui mesure la distance à la surface d'un cercle parfait de rayon R :
\(D_{ij} ≈ R.arccos(sin(\delta_i).sin(\delta_j)+cos(\delta_i).cos(\delta_j).cos(\lambda_i-\lambda_j))\)
Si on prend l'exemple de Paris (2.34°W, 48.85° N,) et Cotonou (2.41°W, 6.36°N) et que l'on fixe le rayon moyen de la terre à 6371 km le calcul nous donne :
\(D_ij ≈ 6371.arccos(sin(48.85).sin(6.36)+cos(48.85).cos(6.36).cos(2.41-2.34)) ≈ 5812km\) Cette formule peut être utilisée dans un tableur de type Excel. Mais il est plus facile et surtout plus juste de calculer la distance orthodromique l'aide d'un SIG comme QGIS. On peut également facilement calculer cette distance dans R à l'aide de la fonction st_distance() du package sf (spatial features).
B.1.2 La distance euclidienne
Dès lors que l'on travaille sur une portion suffisamment petite de la surface terrestre (disons de moins de 1000 x 1000 km), on peut négliger la rotondité de la Terre et calculer avec une approximation raisonnable les distances à partir de coordonnées projetées, c'est-à-dire ramenées dans un plan orthonormé ou deux points i et j ont pour coordonnées \(\left( X_{i},Y_{i} \right)\) et \(\left( X_{j},Y_{j} \right)\). On peut alors calculer la distance entre deux points à l'aide de lamétrique euclidienne dont la formule de calcul (dérivée du théorème de Pythagore) est :
\(D_{ij}=\sqrt{(X_i-X_j)^2+(Y_i-Y_j)^2}\)
Exemple : Supposons que l'on veuille calculer la distance entre Abidjan et Bouaké qui ont pour coordonnées respectives de latitude et longitude :
Abidjan : Longitude = 4.020° W , Latitude = 5.324°N
Bouaké : Longitude = 5.050°W, Latitude = 7.698° N
Après application d'une projection qui minimise les déformations en Côte d'Ivoire (EPSG = 2043) les nouvelles coordonnées planaires mesurées en kilomètres sont devenues :
Abidjan : X = 1052, Y = 590
Bouaké : X = 936, Y = 852
On peut dès lors estimer la distance entre les deux villes par la formule
\(D_{ij}=\sqrt{(1052-936)^2+(590-852)^2} = \sqrt{(116)^2+(-262)^2} = \sqrt{82100} ≈ 287{km}\)
On pourra vérifier à l'aide d'un SIG ou de Google Maps que cette approximation est très proche de la distance qui serait obtenue en utilisant la distance à la surface de la Terre en tenant compte des déformations de l'ellipsoïde.
B.1.3 La distance rectilinéaire
La distance rectilinéaire aussi appelée distance city-block ou distance de Manhattan est une métrique particulière adaptée au cas des villes ayant un réseau de transport organisé selon deux directions orthogonales. Nous proposons de la rebabptiser ici distance de Cotonou dans la mesure où le centre de cette métropole offre un exemple presque parfait de plan en damier où toutes les rues sont de direction Nord-Sud ou Sud-Nord. Supposons par exemple qu'un élève de l'école primaire de Kowegbo veuille retrouver un autre élève de l'école primaire d'Avotrou. Quel itinéraire va-t-il choisir s'il se déplace à pieds et veut prendre l'itinéraire le plus rapide ?